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Ex libris - BCU Iasi · marche des troupes de Charles de Lorraine dans la plaine avant la bataille...

Date post: 25-Oct-2020
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MISCELLANEA – Jean Michel Cantacuzène: “ Ex libris ” BIBLOS 13 – p. 42 Ex libris Jean Michel CANTACUZÈNE Rezumat: . O carte “cu totul excepţională” – cum spune chiar autorul acestei prezentări – atrage atenţia prin conţinut, stil, anexe şi , mai ales, prin planşele şi hărţile pe care le conţine. (Balcani; istorie sec. XVII/XVIII; Imperiul Otoman; bibliofilie) L’ÉTAT MILITAIRE DE L’EMPIRE OTTOMAN, SES PROGRÈS, SA DÉCADENCE par Mr. le Comte de Marsigli. Deux tomes en un volume in folio, bilingue italien/ français en 2 colonnes, prologue et tables; XVI p., première partie: 151 p., deuxième partie: 199 p., 2 cartes repliées en couleurs, 44 planches gravées (I à XLIV) dont certaines repliées, 3 tables repliées, nombreuses vignettes, 4 frontispices en rouge et noir, (2 en italien, 2 en français), à La Haye, chez Pierre Gosse & Jean Neaulme, Pierre De Hondt et Adrien Moetjens; à Amsterdam chez Hermann Uytwerf et François Changuion, 1ère édition, 1732. Il s’agit là d’un livre tout à fait exceptionnel, par sa conception et par son illustration, très rare a l’état complet, paru deux ans après la mort de son auteur. Du reste Luigi Ferdinando Marsigli, né à Bologne en 1658, s’est éteint dans sa ville natale le 30 novembre 1730, alors qu’il mettait la dernière main à l’illustration de cet ouvrage somptueux, pour lequel il venait de trouver les ”marques que chaque compagnie de Janissaires a sur le dôme de sa tente” et qui font l’objet des Planches XX, XXI, XXII. “La lecture des différentes Histoires de l’Empire Ottoman fit une de mes occupations favorites dès ma plus tendre enfance. Toutes me dépeignoient les Turcs comme une Nation invincible & cette uniformité de sentiments sur leurs forces Militaires me fit naître l’envie d’en juger par moi-même”. Erudit, naturaliste et géographe italien, associé de l’Académie des sciences de Paris, auteur d’un monumental ouvrage en 6 volumes, in folio, sur le Danube (1726), Diplomate vénitien et Général au service de l’Autriche puis à celui du Pape, chargé par l’Empereur Léopold du tracé des frontières entre la Hongrie, la Turquie et Venise après la paix de Carlovitz (1699), Marsigli
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Page 1: Ex libris - BCU Iasi · marche des troupes de Charles de Lorraine dans la plaine avant la bataille de Mohacz de 1687 (pl. XXVIII); ... peint de diverses couleurs, & orné de flames)

MISCELLANEA – Jean Michel Cantacuzène: “ Ex libris ”

BIBLOS 13 – p. 42

Ex libris

Jean Michel CANTACUZÈNE

Rezumat: . O carte “cu totul excepţională” – cum spune chiar autorul acestei prezentări – atrage atenţia prin conţinut, stil, anexe şi , mai ales, prin planşele şi hărţile pe care le conţine. (Balcani; istorie sec. XVII/XVIII; Imperiul Otoman; bibliofilie)

L’ÉTAT MILITAIRE DE L’EMPIRE OTTOMAN, SES PROGRÈS, SA DÉCADENCE par Mr. le Comte de Marsigli. Deux tomes en un volume in folio, bilingue italien/ français en 2 colonnes, prologue et tables; XVI p., première partie: 151 p., deuxième partie: 199 p., 2 cartes repliées en couleurs, 44 planches

gravées (I à XLIV) dont certaines repliées, 3 tables repliées, nombreuses vignettes, 4 frontispices en rouge et noir, (2 en italien, 2 en français), à La Haye, chez Pierre Gosse & Jean Neaulme, Pierre De Hondt et Adrien Moetjens; à Amsterdam chez Hermann Uytwerf et François Changuion, 1ère édition, 1732.

Il s’agit là d’un livre tout à fait exceptionnel, par sa conception et par son illustration, très rare a l’état complet, paru deux ans après la mort de son auteur. Du reste Luigi Ferdinando Marsigli, né à Bologne en 1658, s’est éteint dans sa ville natale le 30 novembre 1730, alors qu’il mettait la dernière main à l’illustration de cet ouvrage somptueux, pour lequel il venait de trouver les ”marques que chaque compagnie de Janissaires a sur le dôme de sa tente” et qui font l’objet des Planches XX, XXI, XXII.

“La lecture des différentes Histoires de l’Empire

Ottoman fit une de mes occupations favorites dès ma plus tendre enfance. Toutes me dépeignoient les Turcs comme une Nation invincible & cette uniformité de sentiments sur leurs forces Militaires me fit naître l’envie d’en juger par moi-même”.

Erudit, naturaliste et géographe italien, associé

de l’Académie des sciences de Paris, auteur d’un monumental ouvrage en 6 volumes, in folio, sur le Danube (1726), Diplomate vénitien et Général au service de l’Autriche puis à celui du Pape, chargé par l’Empereur Léopold du tracé des frontières entre la Hongrie, la Turquie et Venise après la paix de Carlovitz (1699), Marsigli

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avait commencé à satisfaire sa curiosité d’enfant vis-à-vis des Turcs à partir de l’âge de 20 ans, lorsqu’il accompagna à l’été 1679, et pour presque un an, le Sénateur Pietro Ciurani, nouveau Baile de Venise à Constantinople, qui remplaçait le vieux Jean Morosini, jadis en poste à Paris puis à Vienne et aujourd’hui perclus de rhumatismes.

Cet ouvrage, enrichi par 50 annnées d’études, de tribulations et d’aventures à travers la zone balkanique tenue par les Turcs, présente, dans ses cent onze chapitres, et cinquante planches, cartes et figures gravées, une vue très complète sur la Puissance militaire, les Finances et le Commerce de l’Empire ottoman. Il a surtout le charme d’un récit vécu, dont l’érudition est contrebalancée par l’expérience personnelle de cet observateur intelligent et cultivé, qui n’hésitait pas “à se salir les mains”, tantôt comme Attaché d’Ambassade, tantôt comme esclave, ou bien déguisé en capucin, ou encore à lever un plan de Forteresse les armes à la main !

Des illustrations sortant de l’ordinaire Après deux très grandes cartes en couleurs donnant la vision ottomane des Balkans et de l’Empire tout entier, et une page détaillant les monnaies turques, les gravures dues à Jan Schenk, souvent à pleine page, sont particulièrement réussies. Elles contiennent de nombreux détails sur l’arsenal et l’ornement militaire des Ottomans: ces illustrations montrent les casques et les turbans; les armes blanches et les modèles de sabres; les pistolets et les fusils; les canons et leurs affûts; les mortiers lanceurs de bombes et les flèches enflammées; les harnais, les étendards, les tambours et les trompettes; les étendards des Janissaires et les tentes des pachas; sont particulièrement réussies les gravures mettant en scène des animaux: Chevaux portant des outres qu’on remplit d’eau à la rivière sans les décharger (pl. IV); Paire de canons orientables montés sur chameaux avec leur cannonier (pl. XI); Bêtes de somme-boeuf, buffle, chameau, mulet-marchant au pas (pl. XXIII). Une autre séries de gravures dépeint les mouvements militaires et l’art de la guerre de cette époque: le passage d’une rivière par les Tatars, avec femmes et esclaves (dont Marsigli), armes et bagages (pl. XVI); le passage de la Morava par les troupes impériales vers Semendria (pl. XXXVI); divers campements dont celui de Kara-Mustafa au siège de Vienne de 1683, où Marsigli était esclave (pl. XXVI); diverses marches comme par exemple la marche d’alaÿ des Janissaires arrivant au siège de Vienne (pl. XXXIV), et leur retraite après la déroute des Turcs au siège de Vienne (pl. XXXV), ou encore la marche des troupes de Charles de Lorraine dans la plaine avant la bataille de Mohacz de 1687 (pl. XXVIII); différentes batailles menées face aux Turcs par les grands Capitaines

Fig.1. Luigi Ferdinando MARSIGLI (1658-1730). Portrait equestre du Comte Marsigli par A. Zanchi & A. Calza. Museo Marsiliano dell’Úniversitá, Bologne

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chrétiens de l’époque, Charles de Lorraine, Eugène de Savoie ou Louis de Bade; vient enfin une série d’illustrations sur l’art des sièges et des fortifications avec, comme illustrations, des sièges où ce sont les Ottomans qui attaquent, comme à Vienne et à Candie (pl. XXXVIII), et des sièges où les Turcs sont défenseurs: défense de Bude (pl. XLIII) et de Belgrade (pl. XLIV).

Visite de la flotte turque sur le navire amiral

Avant de conclure, l’ouvrage s’achève sur les opérations maritimes des armées ottomanes... Les dessins de navires n’étant pas la spécialité de Marsigli, il les remplaça par une description faite sur le vif des manoeuvres de la Flotte turque, alors qu’un jour d’avril 1680, il s’était faufilé dans la suite d’un Capucin sur le Navire amiral!

“C’est la coûtume des Turcs, le jour de la Saint Georges qui est un des derniers

jours d’avril (n. d. t. St. Georges catholique: 23 avril), que toute leur Armée navale (chaque bâtiment goudronné de frais, peint de diverses couleurs, & orné de flames) sorte en pompe des Arsenaux, et passe à la vue du Sérail. Elle gagne de là les écueuils de la Propontide, pour mettre à la voile, d’où elle vient passer le détroit des Dardanelles, pour courir toutes les îles & les rades qui dépendent de l’Empire (ottoman), & y exiger en même temps les tributs que les peuples doivent, tant au Trésor Public qu’au Comptoir (cassette) particulier du Capitan-Pasha, ou Commandant de la Mer. Cela se pratiqua en 1680 dans la même saison, mais avec un faste extraordinaire que le Sultan règnant (Mehmet IV) ordonna pour son plaisir. Le Père Etienne, Capucin français, d’une vertu exemplaire, me

Fig. 2. La vue ottomane des Balkans et de la Turquie

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procura (le moyen) de voir commodément cette Armée navale. Il était très habile chirurgien & traitait alors d’une indisposition le Capitan-Pasha qui avait beaucoup d’égards pour lui. Ce Général le menait toujours en campagne sur son bord, ce qui était

d’un grand soulagement pour les pauvres esclaves chrétiens des galères, car ce bon religieux profitait de la bienveillance du Turc pour être leur intercesseur dans l’occasion. Il m’est arrivé deux fois d’aller dans Constantinople avec ce Capucin vêtu de son habit religieux, et de rencontrer le Général de la Mer, à cheval en grand cortège, qui s’arrètait en le voyant et s’entretenait avec lui fort familièrement. Le jour de la sortie de l’Armée navale, ce religieux me conduisit à bord de la <<Bâtarde>> la plus grande des galères, montée par le Capitan-Pasha. Ce bâtiment avait de somptueux équipages & je fus à portée de voir tous ceux dont le Canon-Name fait mention (Code des règlements militaires et de l’organi-sation des Armées ottomanes, que Marsigli avait réussi à se procurer à prix d’or, et qu’il a publié dans le présent ouvrage) & de remarquer l’ordre de leur marche. Le Capitan-

Pasha fit approcher sa galère & jetter un pont un peu au dessus d’un kiosko, ou maison de plaisance du Sultan. Cette maison était hors de Constantinople, & le Sultan assis sur son trône, reçut les hommages du Général & de tous les autres Capitaines qui avaient des habits de brocart d’or fourés de zibelines. Le Grand-Vizir (Kara-Mustafa) était présent à cette cérémonie & il se tenait debout avec les mains jointes. Dès que tous les officiers, habillés de la même manière eurent passé suivant l’ordre établi par les règlements de la Marine, les premiers Chefs suivirent le Capitan-Pasha qui, une canne à la main, de la hauteur d’un homme, garnie d’une pomme d’ivoire, marchait à la tête de tous les Officiers qui faisaient leur cour au Grand-Vizir. Celui-ci les suivit dans la <<Bâtarde>> dont la poupe était garnie de très riches coussins sur lesquels ils s’assirent après que la galère, ayant salué de son artillerie, eut passé le kiosko du Sultan. Le Général (de la Mer) montrait au Grand-Vizir les bâtiments, l’un après l’autre &, ayant passé la pointe du Sérail, au milieu des décharges de l’Armée turque, & même de tous les vaisseaux qui étaient dans le Port, quoique chrétiens, on prépara un splendide dîner. (...) Dès que tous ces bâtiments furent au large dans la Propontide (Mer de Marmara), ils se rangèrent en deux ailes, laissant au milieu la <<Bâtarde>> du Capitan-Pasha. Dans cette disposition je pus remarquer le peu d’expérience que les Turcs ont à manier la rame, surtout à l’égard des galères. (...) Cette Armée, dans cet état, ni à l’égard de la Milice ni par rapport aux Chiourmes, ni pour la qualité des Bâtiments, n’aurait pu faire tête à celle des Vénitiens”.

Fig. 3. La vue ottomane des Provinces Danubiennes (Carte de Marsigli)

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Et c’est ainsi que, pris pour un Capucin, Marsigli depuis le coeur même du

dispositif naval turc, avait pu détailler, pendant une longue et belle croisière allant de Contantinople jusqu’aux Îles de la Mer Egée puis retour, et évaluer les forces et les faiblesses de l’Armada turque! Comme on le voit, il la jugeait incapable de tenir tête à la flotte vénitienne. Vendu comme esclave au siège de Vienne

Mais c’est deux ans plus tard, alors qu’il était Capitaine dans l’Armée de l’Empereur Léopold, face aux Turcs, que Marsigli eut l’occasion de connaître, véritablement de l’intérieur l’Armée ottomane, lorsqu’il fut fait prisonnier en 1683 et vendu comme esclave.

Après s’être engagé dans l’Armée autrichienne comme simple soldat, son intelligence et sa bravoure l’avaient fait nommer assez rapidement Capitaine, et le 16 mai 1683, il faisait partie, comme fantassin, des unités passées en revue par Léopold dans la plaine du Danube face à Bratislava.

Pour arrêter Kara Mustafa, qui avait commencé à faire converger sur Vienne toutes ses troupes aussi bien turques que vassales (Tatares, Bosniaques, Valaques, Moldaves et autres Transylvains), le Duc Charles de Lorraine avait été nommé Commandant en chef des impériaux; c’est lui personnellement qui avait demandé à Marsigli d’aller avec les Hongrois assurer la défense le long de la Raab (affluent du Danube ) dans un endroit très marécageux, près de Györ. L’avant garde ottomane - les Tatars - était beaucoup plus importante que ne l’imaginaient les impériaux et leur défense céda le long de la Raab: c’est ainsi que Marsigli fut fait prisonnier par les Tatars dans des marécages, à mi-distance entre Buda et Vienne, vers la fin-juin 1683 et que la région fut mise à feu et à sang. Les Ottomans arrivèrent sous les murs de Vienne le 14 juillet 1683, et Marsigli avec eux, non pas comme Capitaine, mais comme l’esclave “Federico” qui avait dû passer les rivières pieds et poings liés, accroché à la queue d’un cheval! (pl. XVI). En route vers Vienne, ces Tatars avaient ensuite vendu “Federico”, serviteur d’un marchand de Venise, à Achmet Pasha de Temesvar (Timişoara), qu’il suivit jusqu’à Javarin (actuel Györ). Il commença comme laboureur, à creuser des tranchées au fameux siège de Vienne qui dura du 14 juillet au 12 septembre 1683; après quoi il eut à s’occuper d’une échoppe de café, à l’extrémité Ouest du camp Turc; il essaya donc de s’échapper... il échoua, et, son maître Achmet Pasha étant mort empoisonné, il fut vendu à nouveau et passa au pouvoir de deux cavaliers bosniaques, qui sans doute par habitude des chevaux, attachèrent “Federico” (Marsigli) à un piquet de manière permanente... Il put, pendant les deux mois subis comme esclave dans le camp turc, observer à la fois l’art militaire des Turcs et leur combativité: double zéro! De Kara Mustafa qui avait organisé le

Fig. 4. Canonier turque

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siège en dépit du bon sens et s’était ensuite refusé à lancer l’assaut, jusqu’au simple soldat ou même aux Janissaires qui s’étaient enfuis dès qu’is avaient vu arriver les renforts chrétiens (les infidèles approchent! criaient-ils), tout avait fait une impression déplorable sur l’esclave de haut rang qui observait les Turcs en catimini ! Au moment de la grande débâcle des Turcs “on me détacha du piquet auquel j’étais attaché comme esclave, et je fus obligé de fuir à pieds nus à travers les vignes avec le Turc qui était mon patron. Je ne pus résister longtemps à la fatigue d’un pareil voyage, et on me mit pour me soulager, sur une méchante rosse abandonnée qui se trouva par hasard dans le chemin, & environ les 23 heures je perdis Vienne de vue. (....) Nous passâmes à Bude (Budapest) en traversant les bois, et ensuite la Drawe sans que je pusse rien voir davantage de cette campagne”. Petit à petit l’esclave et ses deux maîtres s’approchaient de l’Adriatique: Marsigli s’approchait donc de Venise et les deux Bosniaques de Sarajevo; alors, chacun sentit l’occasion favorable pour tirer parti de la situation: les frères bosniaques pour toucher une rançon, et l’Italien pour recouvrer la liberté. Après un premier échec des tractations à Sarajevo, Marsigli fut emmené dans la vallée de la Vrbas au village de ses geôliers (proche de Banja-Luka). Le problème était de faire prévenir les siens, sans attirer l’attention sur sa propre importance; Marsigli eut alors l’idée de demander un prêtre catholique pour se confesser: c’est un Franciscain qui se présenta, auquel il révéla son identité, en demandant de faire prévenir le Sénateur Ciurani à Venise. Par chance, la côte dalmate, toute proche, était aux mains des Vénitiens, et le Franciscain put faire passer le message au Sénateur: “je lui adressai les lettres que j’écrivais à ma famille pour demander ma rançon; il m’envoya aussitôt une barque avec un homme chargé de plus d’argent qu’il n’en fallait, et à qui il ordonna de me racheter à quelque prix que ce fût. S’il n’en avait pas agi dans cette occasion comme un véritable ami, je n’aurais pu obtenir ma liberté, parce que la République ayant déclaré la guerre à la Porte en ce temps là, il m’aurait été impossible de faire venir de l’argent pour ma rançon”.

Marsigli était retourné plusieurs fois à Contantinople après son premier séjour de 1680; ceci lui a donné l’occasion de rapporter des observations qui demeurent amusantes ou intéressantes, même aujourd’hui. D’une façon générale, il a une fort mauvaise opinion des Turcs: il les trouve dissimulateurs, menteurs même, prodiguant toujours de belles paroles pour apaiser les craintes de leur interlocuteur qu’ils n’hésiteront pas à faire empoisonner, si nécessaire! Les Turcs et le travail “Les Turcs sont plus portés au repos qu’à l’activité; ceux de Constantinople sont fort paresseux... “ * "Les grosses fatigues sont réservées aux plus pauvres - Grecs & Arméniens - qui viennent de la campagne en ville (....)" * "Les troupes de Transylvanie, de Valachie, de Moldavie ne servent qu’à grossir l’armée des Turcs, pour dispenser les braves soldats des tâches désagréables, ou lorsqu’il faut engager une guerre contre une puissance chrétienne". * Il y a à Contantinople 585 moulins à farine et 285 fours à pain exclusivement servis par des Arméniens. * La plupart des commerces de la Capitale sont tenus par les Juifs; les Turcs aisés ont chez eux un “Juif de maison” qui s’occupe des comptes, des affaires du commerce. * Les Turcs aiment beaucoup l’alchimie, la géométrie, l’astronomie, et la géographie: l’Atlas de Blaeu (toujours fameux) a été offert au Sultan par l’Ambassadeur de Hollande (Collyer), avec grand succès.

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* L’art de la teinture des cuirs et des étoffes est à son apogée. . . * La Chancellerie turque tient avec un luxe excessif tous les registres officiels et très exacts de tous les Traités, du Cadastre, de tous les Actes écrits, etc. (il est bien connu que les Archives ottomanes doivent receler, pour les historiens, des trésors, toujours cachés). * Malgré les tentatives de quelques Juifs ou Chrétiens, l’Imprimerie n’est pas introduite en Turquie, “pour ne pas mettre au chomage les quelque 90. 000 copistes” qui existaient à Constantinople à la fin du 17ème siècle, nous précise Marsigli. C’est un fait que la première presse a été introduite au Palais de France de Constantinople, à la fin du 18ème siècle. Les Turcs et l’argent “L’intérêt est une passion que les Turcs ont fort à coeur; les uns brûlent d’envie d’amasser & de jouir de beaucoup de biens; d’autres ont l’ambition de vouloir donner des festins & satisfaire à leur luxe & à leur lubricité. Cela les oblige à faire des dépenses excessives pour avoir un grand nombre de femmes chez eux. L’avarice est cause qu’il y a des trésors immenses en argent et en joyaux cachés dans Constantinople; ils appartiennent à des ministres, à des pachas, à des marchands, qui, quoique accablés de maladies, espèrent vivre encore longtemps et meurent cependant sans en donner connaissance à leurs héritiers”. La politique du pouvoir vis-à-vis de l’argent ne connait aucun frein: * Lors d’une guerre longue, comme fut le siège de Vienne par exemple, le fisc fait décapiter les citoyens les plus riches, pour en récupérer l’argent; * Toujours lors du siège de Vienne, qui dura beaucoup plus que prévu, le Grand Vizir décida de faire décapiter tous les esclaves pour économiser leur nourriture; cela faillit déclencher une révolte dans l’Armée, car le Grand Vizir venait de prélever auprès de leur maître, une taxe de 1 sequin par tête d’esclave (le “pingik”); la mesure fut donc annulée et Marsigli eut ainsi la vie sauve; de leur côté les Tatars avaient simplement refusé de payer le pingik. * Le poids et la composition de l’alliage des monnaies turques sont très diminués (corrompus). * Le Trésor turc a inventé avec Küprülü encore d’autres subterfuges: les comptes se font en aspres (akçe) mais les échanges avec les Provinces tributaires, se font en thalers; pour recevoir le tribut, le thaler ne vaut que 80 aspres; mais lorsque la Porte paye ses dettes, le thaler est compté à 120 aspres, ou même à 160 aspres à Buda... * Dans les revenus de la Cassette du Sultan, on ne voit pas figurer les tributs de la Transylvanie, de la Moldavie et de la Valachie: ces tributs-là sont un régal (redevance) du Grand Vizir...! * Les Moldaves sont non seulement accablés de taxes en argent mais encore de vivres; ils doivent en outre fournir un corps de Cavalerie, entretenu aux dépens soit des Principautés, soit des nobles du pays; les Valaques connaissent le même sort. * Outre une assez bonne somme d’argent, que les Transylvains doivent payer à la première demande qu’on leur en fait, ils fournissent encore un gros corps de Cavalerie, divisé en hongroise et en siculoise. “La Transylvanie est une autre Babylone, pour la diversité des Religions qu’on y professe, et des langues qu’on y parle”.

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Les Juifs de Turquie “J’ai une parfaite connaissance de l’état du judaïsme en Turquie, que je réserve pour le traité dont j’ai parlé plusieurs fois”. Ce traité ne semble pas avoir vu le jour, mais Marsigli donne de nombreux détails sur le sujet: *Les Juifs aiment les Turcs avec raison car, une fois qu’ils ont payé leurs impôts, ils peuvent vivre en toute liberté, notamment au plan religieux. Il y a 32 synagogues à Constatinople (fin du 17ème siècle), pour 485 mosquées. Les Turcs méprisent les Juifs mais ils les emploient avec profit. *”La langue espagnole se parle continuellement et se conserve dans le commerce parmi les Juifs depuis que, chassés d’Espagne (en 1492), ils se réfugièrent en grand nombre dans l’Empire ottoman, où par conséquent ils ont porté leur langue naturelle” (Ce phénomène linguistique s’est perpétué jusqu’à la fin du 20ème siècle, la dernière génération de Juifs originaires de Turquie à parler un espagnol archaïque s’est éteinte avec le millénaire). Les Catholiques de Péra & Galata parlent la “langue franque” dérivant de l’italien, introduit par les marchands Génois et Vénitiens, à partir des 13ème / 14ème siècles. *”Les Juifs se sont dispersés dans toutes les Provinces de l’Empire, et se sont particulièrement établis partout où il y avait quelque occasion de négocier. Il est incroyable comment ils prennent à coeur les intérêts des Turcs (...). Il n’y a point d’homme de qualité qui n’ait dans sa maison un Juif chargé du détail du commerce car les Juifs ont beaucoup d’habileté.” Conclusions. . .

La Turquie ottomane est en voie de décadence rapide, estime Marsigli, notamment à cause de la faible valeur de son Armée qui trop souvent fuit devant l’ennemi; “il s’est glissé dans la suite des temps beaucoup d’abus dans les règlements militaires, qui ont causé de grands préjudices dans tout le corps de l’Empire. La Milice s’est abâtardie et dans peu de temps elle sera entièrement détruite; l’autorité impériale n’est presque plus reconnue elle se perdra enfin tout à fait”.

Comme on le sait, Démètre Cantémir, contemporain de Marsigli, exprimait la même opinion dans son “Histoire de l’Empire ottoman”, publiée par son fils Antioche. Or pourtant, la disparition de l’Empire ottoman demandera encore deux siècles, et de terribles evènements: de nombreuses guerres austro-turques et russo-turques au cours des 18ème et 19ème siècles; et puis au début du 20è siècle, le massacre des Arméniens en 1915, l’expulsion des Grecs de leur terre millénaire par Ataturk en 1921, et le “varlik”, taxe confiscatoire imposée aux Juifs pendant la 2ème guerre mondiale, amenant nombre d’entre eux à fuir définitivement...

Une fois qu’ils n’ont plus eu d’esclaves pour travailler à leur place, les Turcs ont bien été obligés de travailler... et ils se sont mis au travail, avec succès...

*

* *

ERRATA: În numărul 11-12 din 2001 al revistei BIBLOS, la pagina 43, în explicaţia la figura 5, în loc de “Roumélie”, printr-o regretabilă eroare de cules, a apărut “Roumanie”. Facem cuvenita rectificare şi ne cerem scuze, atît autorului, cît şi cititorilor revistei.


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