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R 27995 - 0105 - FTarif : 15 euros
Ce numéro de 303, est entièrement consacré
à la poésie, une poésie qui replace l’homme au
cœur de toutes les préoccupations dans un siècle
qui avait oublié cette aspiration majeure. Dans
l’Ouest puis à Paris, des poètes incarnent ce retour
à l’humain mais cette aventure poétique est
d’emblée collective. Dans les années noires
de la Seconde Guerre mondiale, un nom et un lieu
cristallisent cet élan poétique et fraternel : le poète
René Guy Cadou, qui reste l’emblème de cette
aventure, et Rochefort-sur-Loire, où se retrouvent
autour de Jean Bouhier, Michel Manoll, Marcel
Béalu, Jean Rousselot, Luc Bérimont, René Guy
Cadou et tant d’autres… Rochefort-sur-Loire
restera un rendez-vous, un moment exceptionnel
de poésie, de vérité et d’amitié.
Addition de quelquesnombres que le hasard de l’alphabet a bien vouludonner.
La volonté de faire sortir de leur existence paisible et souvent isolée la recherche et la création,l’identité culturelle ignorée.
Le visiteur de la revue,spécialiste ou amateur,trouvera dans le miroirde papier la fo ule des gares,la solitude des champs, le bonheur des plages, le son des marchés, la vitesse des machines, l’ombre des égliseset les étoiles vertes et rouges des avions.
Cette publication est réalisée par l’association 303 qui reçoit un financement de la Région des Pays de la Loire composée des départements de 44 Loire-Atlantique,49 Maine-et-Loire, 53 Mayenne,72 Sarthe,85 Vendée.
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C’est dans la pharmacie des Bouhier, à Rochefort-sur-Loire, que l’École deRochefort prit son élan, à l’ombre tutélaire de Max Jacob et Pierre Reverdy.Rendez-vous du rêve, du rire, de vérités humaines, de paroles fertiles etd’enthousiasmes comme aucune autre génération de poètes n’en vécut.Rendez-vous de l’amitié comme un âge d’or. Cadou, figure solaire de cetteécole, avait acquiescé immédiatement à la proposition de Bouhier. Celui-ciavait fait le constat que les pouvoirs avaient désigné les intellectuelsd’avant-guerre comme responsables de la défaite : « Alors, on voulait réa-gir » contre « une poésie officielle qui s’extériorisait par des odes au maré-chal Pétain ».
Deux périodes jalonnent la route du fondateur, natif de La Roche-sur-Yon : la première, de mai 1941 à avril 1947 ; la seconde, de janvier 1952 àfévrier 1963. C’est ainsi que René Guy Cadou, Luc Bérimont, Michel Manoll,Jean Rousselot, Marcel Béalu et Jean Bouhier furent du premier cercle.Roger Toulouse illustra leurs œuvres. L’École de Rochefort originelle semua en Amis de Rochefort et se réunissait à La Coupole, à Paris, que SergeWellens et Pierre Garnier fréquentèrent. Rochefort, c’est un ancrage et unvoyage, adossés à la magie des lieux, des paysages et du fleuve.
Bérimont, « cœur torrentiel » selon Cadou, écrit La Huche à pain àRochefort-sur-Loire. L’érotisme végétal de La Huche à pain répond à la tra-gédie de la guerre. On ne peut comprendre Bérimont sans l’homme deradio, l’homme de La Fine Fleur de la chanson française. Léo Ferré etJacques Bertin chantent Bérimont comme Môrice Benin chante Cadou.« Militant de la parole », « fouillant le cœur du mystère avec la lampe depoche des mots », selon Marie-Hélène Fraïssé, Bérimont, c’est le Sacre duprintemps de la parole.
Tous deux ont considéré les pays de l’enfance comme des vigieslyriques pointant les temps futurs et ont répondu aux appels de la natureet de l’amour transfiguré. Bérimont donnera à Cadou son véritable nomde poète : Orphée. Dans Hélène ou le règne végétal, cet évangile de la joie,du chagrin et de l’amour, Cadou a pensé ce grand livre comme une cathé-drale végétale dévoilant ainsi l’homme tout entier.
En se plaçant au cœur de la Nature, en ravivant ce sentiment, les poètesde l’École de Rochefort sont héritiers des poètes de la Pléiade. Ils vécurentdans une communion panthéiste avec le vivant, et un chant d’amour alorssurgit de La Vie rêvée de René Guy Cadou ou de La Lyre à feu de Luc Bérimont.Ces deux frères en poésie, c’est « l’évidence même » d’un « feu vivant ».
Ce numéro de la revue 303 déroule sa trame sur le tréma de « poëtique »,graphie utilisée par les « poëtes » de l’École de Rochefort.
Luc Vidal
Ce numéro de la revue 303 est dédié à Jeanne, la sœur d’Hélène Cadou.
Ne sommes-nous pas les seuls à pouvoir parler la Loire de notre joie ?René Guy Cadou
Sommaire 303 /Nº108 / 09
LUC BÉRIMONT
Luc Bérimont, René Guy Cadou deux frères en poésieJean Orizet, poète, éditeur
Luc Bérimont, le chant d’un poète Stéphanie Faure, professeur
La Fine Fleur de la poésie et de la chanson françaises : Luc Bérimont et ses auditeursChristian Vogels, maître de conférencesen sociologie de la littérature et des religions à Nantes
Luc Bérimont, Léo Ferré et la chanson Jacques Layani, écrivain
Dernière lettre à Luc Bérimont Jean-Claude Bourles, poète, romancier,écrivain voyageur
Extrait de La Huche à painde Luc Bérimont
L’entendre encore Marie-Hélène Fraïssé, écrivain,journaliste
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ÉCOLE DE ROCHEFORT
Rochefort : l’itinéraire de l’amitiéJacques Bertin, chanteur, écrivain
L’École de Rochefort : un portrait de groupeJean-Luc Pouliquen, poète, critique littéraire
Une rencontre avec Jean BouhierJean-Luc Pouliquen, poète, critique littéraire
Manoll – Cadou : une amitié en plein cœurJean-Claude Coiffard, poète
Jean RousselotJean-Noël Guéno, poète, professeur de lettres
Edmond Humeau : entre Rochefort et JarnacJacques Boislève, journaliste, écrivain
Sept éclats pour un portrait :Serge WellensRoland Halbert, poète
Territorialité de la poésiePierre Garnier et l’École de RochefortCécile Odartchenko, romancière, éditeur
Michel Ragon : de Nantes à Paris en passant par Rochefort…Jacques Boislève, journaliste, écrivain
Julien Gracq tenté par RochefortJacques Boislève, journaliste, écrivain
L’autre École de RochefortOlivier Delettre, professeur de lettres
La chanson des amis de RochefortMichel Trihoreau, journaliste, écrivain
Rochefort - Saint-Florent - LiréJacques Boislève, journaliste, écrivain
Bibliographie générale et biographies succinctes
RENÉ GUY CADOU
Un lycéen nommé CadouJoël Barreau, président de l’association de gestion du centre René Guy Cadou
Max Jacob, une « présence terriblement agissante » pour René Guy CadouAntonio Rodriguez, professeur des universités
Un exemple de l’influence de Reverdy sur les premièresœuvres de René Guy CadouJacques Lardoux, professeur à l’université d’Angers
L’univers végétal de René Guy CadouAlain Germain, professeur
Le Petit Meaulnes dans la cité d’OrphéeThierry Guidet, romancier, directeurde la revue Place Publique
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L’expérience de la guerre chezRené Guy Cadou, ou « vivreuniquement pour l’essentiel »Clotilde Lacore, professeur
Halte en campagne Yvette Guyonnet, travailleur social
Cadou et les noms propresChristian Bulting, écrivain
Quatre portraits de Roger Toulouse / quatre poèmes de René Guy Cadou Luc Vidal, poète, éditeur
Cadou, comme une urgence douceMichel Valmer, essayiste, metteur en scène
Sur le réseau dangereux de la beauté ou autour du Diable et son trainFrançoise Nicol, maître de conférencesà l’université de Nantes
Cadou, critique littéraireJean-Luc Pouliquen, poète, critique littéraire
Autour d’un portrait sensibleDe Louisfert à Rochefort-sur-Loire, le film de Jacques BertinHervé Menou, professeur à l’universitéd’Angers
Cadou dans le paysageJean-François Dubois, poète, professeur
La maison poésieJean-Claude Valin, poète, éditeur
Celui qui entre par hasard Christian Moncelet, écrivain, universitaire
La demeure ou le rêve d’HélèneNoëlle Ménard, conservateur des bibliothèques
L’œuvre au clair ou le paysblanc d’Hélène Cadou Luc Vidal, poète, éditeur
Hélène – Franz Schubert – René Guy Joël Barreau, président de l’association de gestion du Centre René Guy Cadou
Lorsque, après Sainte-Reine-de-Bretagne puis Saint-Nazaire, sonpère est nommé à Nantes comme directeur de l’école primaire duquai Hoche, René Guy Cadou, en octobre , entre commeexterne en classe de sixième au lycée Clemenceau où il effectueratoute sa scolarité jusqu’au baccalauréat.
Comme Jules Vallès et Louis Poirier, alias Julien Gracq, quiont été élèves de ce même lycée, René Guy Cadou, lui aussi, aévoqué sa vie de lycéen, dans Mon enfance est à tout le monde,et, comme eux, il ne s’est pas montré particulièrement tendre àl’égard de l’institution scolaire, au point même que l’on a par-fois l’impression d’entendre les vitupérations de l’auteur duBachelier : « Je ne me reconnaîtrai jamais pour l’obligé de cesmaîtres qui ont mis toute leur science à me faire oublier ce quiétait au fond de moi depuis l’enfance, l’héritage de tous lesenfants du monde. »
Un professeur toutefois échappa à ce discrédit, son profes-seur de français et de latin en classe de première, GeorgesKirn : aussi bien, lorsqu’il épousa Hélène, est-ce à celui-ci, quiétait alors maire adjoint de la ville de Nantes, que René GuyCadou demanda de célébrer leur mariage, l’assurant, à la fin dela lettre dans laquelle il formulait sa demande, de son « trèsfidèle et respectueux souvenir ».
Dans Mon enfance est à tout le monde, un autre professeurtrouve grâce à ses yeux, M. Barthès, son professeur de françaisde sixième, moins, il est vrai, pour la qualité de ses cours quepour la bibliothèque qu’il avait mise en place : «Monsieur B.avait eu l’idée de faire constituer par les élèves de son cours unebibliothèque, et cela le plus simplement du monde en deman-dant à chacun de lui confier un volume. De la sorte trouvait-onsur les rayons, à côté de Sybilla de Jean-Richard Bloch que per-sonne ne lisait – nous avions douze ans – des livres de Madamede Ségur, Fenimore Cooper, Gustave Aymard, Un poilu de douzeans, Le Sorcier du feu, Jules Verne, Les Cinq Sous de Lavarède etsurtout l’admirable roman de Georges Clavigny, Le Vautour dela Sierra. C’est mon camarade Jean Fouquet, aujourd’hui photo-graphe et avec qui, alors, je balançais les chaises de fer et lescorbeilles à papier de la municipalité nantaise dans les piècesd’eau du jardin des Plantes, c’est lui qui avait consenti ce donroyal. Aussi nous retrouvions-nous, tous deux, à l’heure de larécréation, dans cette triste cour bordée de hauts murs etsemée de tilleuls que nous appelions “la cage aux lions” et là,délaissant le quotidien jeu de paume, adossés à un pilier, nousdiscutions lyriquement de nos héros et parlions sérieusementde nous enfuir en Espagne. […] Le miracle de cette double vie
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m’aidait à oublier le morne désespoir de ces salles de classe,l’étouffement de ces matinées pleines de sommeil, quand, dansl’interminable couloir, retentissait la voix glacée d’un maîtred’études. »
Quelques mois après son entrée au lycée, la maladie de samère et sa mort soudaine, le mai , plongent René GuyCadou dans la plus profonde détresse, faisant de lui « un petitêtre machinal qui sanglote sur ses leçons, qui tremble dans sonlit ». Loin de le distraire de sa tristesse, le lycée l’y enfermedavantage : les longs couloirs qui mènent aux salles d’étude luisemblent des couloirs de prison. Son travail scolaire et sesrésultats s’en ressentent, même si les palmarès du lycée montrentqu’en sixième, cinquième et quatrième, il ne fut pas vraimentce «mauvais élève » qu’il affirme avoir été dans Mon enfance està tout le monde.
Durant ces années sombres, il cherche en vain à s’inté-resser à quelque chose, à reprendre pied : il collectionne destimbres-poste, des pierres, des monnaies romaines ; il sefabrique un herbier, mais en vain, jusqu’au jour où, aux envi-rons de Pâques, alors qu’il est en troisième, arrive un événe-ment qui va tout changer, qui va véritablement le sauver,comme il l’affirmera douze ans plus tard dans Mon enfance està tout le monde : « Une fois, je me souviens, c’était aux environsde Pâques, je rapportai de bonnes notes à mon père. Sa joie,ses larmes. Nous allâmes tous deux déjeuner dans une petiteauberge des bords de la Loire. Ah ! comme dans sa tristesse ilsemblait heureux ! Le soir, de retour quai Hoche, dans la cui-sine rouge et blanche, après-dîner, il me lut les poèmes qu’ilécrivait à vingt ans. Il en avait trois gros cahiers serrés dansun tiroir de son secrétaire, trois registres de gros carton entou-rés de ficelle. Je crois bien que c’est ce soir-là que tout a com-mencé. Le lendemain je me trouvais assis devant la fenêtre dema chambre avec une feuille blanche sur mes genoux. […]Les soirs suivants me retrouvèrent à la même place, et je prisainsi l’habitude de traduire, au lieu de versions latines, cetteindicible tristesse qui était en moi. »
Les poèmes de son père, comme ceux de la plupart despoètes amateurs de l’époque, se situaient dans la lignée des poètes parnassiens, en particulier de François Coppée,d’Albert Samain et de Sully Prudhomme, et c’est donc, toutnaturellement, dans cette même lignée que se situa d’abordRené Guy Cadou, comme le montre son premier poème publié,alors qu’il est en classe de seconde, dans le numéro de juin-juillet de La Bohème, revue de l’Association des Étudiants
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UN LYCÉEN NOMMÉ CADOU 1. Jean Jégoudez, René Guy Cadou et Sylvain Chiffoleau, Bourgneuf-en-Retz, 1942. Photothèque Hélène Cadou, Nantes.
2. Couverture du livre Retour de flamme édité par Les cahiers de la pipe en plume, Paris, 1940. Centre René Guy Cadou, Nantes.
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de Nantes, poème intitulé « Une boucle de ses cheveux » ; envoici la première strophe :
« Elle était plus gentille avec ses jolis yeuxQue la blonde Vénus, la nymphe, la sirène ;Il tombait sur son front, pur comme un front de reine,Une boucle de ses cheveux. »
Heureusement pour René Guy Cadou, heureusement pournous, heureusement pour la poésie française, notre lycéen vafaire cette même année deux rencontres qui vont ledéniaiser littérairement.
La première de ces rencontres est celle du jeune poète-libraire Michel Manoll, qui tenait boutique place Bretagne et quiva orienter ses lectures (« Il m’ordonna Musset et Marceline,aggravés de fortes doses de Baudelaire, Rimbaud, Verlaine,Lautréamont, Corbière, Laforgue, Apollinaire, Toulet ») et, parses propres poèmes, influencer son écriture poétique.
La deuxième rencontre est celle d’un homme d’affaires,Jean-Daniel Maublanc, lequel, passionné de poésie, consacraitune partie de ses revenus à éditer de jeunes poètes et à les faire
connaître. René Guy Cadou entre en relation épistolaire aveclui en septembre et, grâce à lui, découvre la poésie de LouisParrot, Fernand Marc, Ivan Goll, Jean Rousselot. Dès lors, dansl’espoir d’être à son tour édité dans une des revues dirigéespar Jean-Daniel Maublanc, il lui envoie régulièrement lespoèmes qu’il écrit, et il en écrit beaucoup : un chaque soiravant de se mettre au lit !
Deux poèmes envoyés en avril –René Guy Cadou estalors en classe de première – montrent le chemin parcourudepuis Une boucle de ses cheveux :
I« Les voix tournantes des girouettes Arrachent à la nuitDes lambeaux de silenceEt dans le cercle du sommeilJe sens l’empreinte de ma faiblesse.
IIL’amour est là,Entre les doigts de coquillage
Dans la chambre du premier hommeÀ la lisière du matin… »
Peut-être consacra-t-il trop de temps à la création poétiqueet à la lecture des poètes contemporains, au détriment de sontravail scolaire : toujours est-il, comme le prouvent les registresdu lycée, qu’il dut redoubler sa classe de première. Mais l’humi-liation de ce redoublement fut effacée lorsque Jean-DanielMaublanc obtint de son ami Jean Digot, éditeur de jeunespoètes, que fût publié, à la fin de cette année , un choix dedouze poèmes de René Guy Cadou rassemblés en un recueil autitre mystérieux : Brancardiers de l’aube. Jean-Daniel Maublancet Michel Manoll ayant chacun écrit une préface pour cerecueil, c’est celle de Jean-Daniel Maublanc que René GuyCadou choisira finalement, affirmant que c’est véritablementlui qui avait été sa « sage-femme» en poésie. On peut préférercependant le beau texte de Michel Manoll, plus poétique et plusprophétique : «Voici une naissance. Il n’est pas facile de décou-vrir au milieu des travaux d’écolier le livre aux feuillets blancsoù va s’inscrire une destinée de poète. […] René Guy Cadou n’apas à abandonner la partie : elle sera lente, durable et pleined’imprévu. Le voici seul avec son sphinx, à l’orée de son désertd’écume, malléable au mystère, entrelacé à ses combats delumière. Salut, compagnon ! »
Les lettres de félicitations reçues par Cadou, mêmed’écrivains de grand renom comme Max Jacob et Giono, luidonnent parmi ses camarades une assurance qu’il n’avait pasjusqu’alors. Désormais il arbore fièrement sa dignité de poète,avec sa belle chevelure léonine blonde et une superbe cravatelavallière, dans les mêmes couloirs et les mêmes cours où,vingt-cinq ans plus tôt, Jacques Vaché avait arboré son dan-dysme avec sa flamboyante chevelure rousse et un éternelmonocle à l’œil gauche.
Au reste, bien conseillé par Max Jacob, Jean-DanielMaublanc et Michel Manoll, il se met sérieusement à son travailscolaire et, après trois ans d’absence aux palmarès, obtient enfin d’année une mention en composition française, un e acces-sit d’histoire et géographie, un er accessit de mathématiques etun e accessit d’allemand. Mais, trop indépendant pour seplier toujours, en français, aux impératifs de la dissertation,allant, à l’occasion, jusqu’à traiter un autre sujet que le sujetproposé ou le traitant de façon « hérétique », il obtient unenote catastrophique en français à la première partie du bacca-lauréat, comme il le raconte dans une lettre à Jean-DanielMaublanc : « J’ai obtenu , sur en allemand (ce qui étaitinespéré), sur en latin (ce qui est normal), sur enmath. Il me fallait donc, pour être admissible, , sur enfrançais. Obtenant d’habitude entre , et , vous voyez quemes espoirs n’étaient pas trop chimériques. Mais j’ai eu ,…, en français ! Formidable, mais vrai. Je gardais donc quelqueespoir, croyant qu’il y avait erreur. Les professeurs de françaisdu lycée firent une démarche collective auprès du doyen.Celui-ci a été très chic ; il est furieux contre le correcteur, trouvela note inimaginable, mais ne peut ouvertement – ce qu’il fit entête à tête – lui donner tort. »
Reçu à la cession de rattrapage d’octobre, René Guy Cadouentre en classe de philosophie, avec les encouragements de MaxJacob : « Je vous engage à faire une très bonne philosophie, […]la métaphysique et la psychologie sont ce qui forme l’hommede lettres surtout s’il est sans religion… » C’est au cours decette année scolaire qu’est publié son deuxième recueil, com-portant douze poèmes comme le précédent, sous le titre Forgesdu vent, et que sont composés ceux du recueil Retour deflamme, publié en .
Cette année encore, quoique assez bon élève (e accessit dephilosophie et e accessit d’allemand au palmarès de fin d’an-née), c’est l’échec à la session de juillet de la deuxième partiedu baccalauréat : « Je suis bouleversé, écrit-il à Jean-DanielMaublanc, je ne puis croire une telle monstruosité possible.Après m’être maintenu, pendant toute l’année, dans les sixpremiers, voilà une fois de plus la porte fermée. Et c’est lamême chose pour autres de mes camarades sur . Gardez-moi votre amitié jusqu’en octobre. Cette fois-ci, je porte toutsur le compte de la malchance. À la cession prochaine, sil’échec est renouvelé, ou je suis un crétin, ou un fumiste, oules deux. » À la session d’octobre, il prouva qu’il n’était ni uncrétin, ni un fumiste. Au reste, les palmarès du lycéeClemenceau nous ont montré qu’il ne fut pas un aussi mau-vais élève qu’il se plaisait parfois à le dire, même s’il fut, àcoup sûr, un élève peu soucieux de figurer, en fin d’année, surces palmarès ; fier, en revanche, à la fin de sa vie, de figurer enbonne place sur un tout autre palmarès, comme il l’écrit dansson dernier poème :
« Ah ! pauvre père ! auras-tu jamais deviné quel amourtu as mis en moi
Et combien j’aime à travers toi toutes les choses de laterre ?
Quel étonnement serait le tien si tu pouvais me voirmaintenant
À genoux dans le lit boueux de la journéeRaclant le sol de mes deux mainsComme les chercheurs de beauté !– Seigneur ! Vous moquez-Vous ? Serait-ce là mon fils ?Se peut-il qu’il figure à votre palmarès ?… »
Joël Barreau
3. 5 quai Hoche, poème manuscrit de René Guy Cadou. 19 juillet 1939. Centre René Guy Cadou, Nantes.
4. Lettre à Michel Manoll, poème manuscrit de René Guy Cadou, 1944. Centre René Guy Cadou, Nantes.
5. Création originale de Cyrille Diatkine d’après une photo de classe, lycée Clemenceau, 1938, Nantes. Photothèque Hélène Cadou, Nantes.
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